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15 janvier 2008

l'acteur de Kabuki ou le sacerdoce théâtrale

Tous les mardis soir à 22H sur la chaîne de télévision NHK, il y a l'émission "Professionnels" qui présente un portrait d'un japonais, passé maître dans sa discipline avec des reportages sur sa vie quotidienne, son travail, des interviews sur un plateau télé.
La semaine dernière, c'était un sushiya-san qui a son restaurant à Ginza et qui vient de recevoir 3 étoiles au Michelin pour ses sushis.
Cette semaine c'était un grand acteur de personnages féminins du Kabuki.
C'est tout simplement passionnant.

L'acteur de Kabuki, dont je n'ai pas retenu le nom, danse depuis 50 ans, il a commencé à danser à 6 ans et malgré une condition physique fragile, une jambe plus petite que l'autre, une grande taille qui faisait rire le public quand il apparaissait sur scène à ses débuts, il n'a pas arrété à monter sur scène et a persévéré jour après jour pour développer sa technique.
C'est assez stupéfiant, comment un homme peut à ce point interpréter la féminité absolue sur scène, se déplacer, danser avec un éventail, porter plusieurs kimonos flambloyants avec la grâce et nous subjuguer:
Qui est femme, qui est homme?
Est-il possible que je puisse jamais atteindre cet idéal féminin même si je suis pourtant une femme!
Lorsqu'on le voit, se maquiller, recouvrir son visage de blanc, poser du rouge sur le coin externe de ses yeux, sur ses lèvres, dessiner des fins cheveux noirs au pinceau le long de son oreille, se transformer devant son miroir avec toute cette concentration, il peint sur son visage le personnage qu'il va interpréter. Cela me rappelle à quel point le théâtre est une chose merveilleuse et la scène un monde immense, à quel point j'aime le théâtre.
Au théâtre, on fait semblant, on fait tellement semblant que cela devient plus réel que la réalité, on arrive parfois à toucher à  autre chose, à l'invisible, lorsqu'on joue soi-même, on se sent bruler en soi une énergie,  on ressent la presence, l'émotion, l'attention de chaque personne en face de nous. Lorsqu'on est spectateur devant un merveilleux spectacle, on se sent en communion avec tout ce qui nous entoure, nos yeux ont l'honneur de se poser sur la beauté absolue, la perfection.
Cela me rappelle la sensation intense, ce sentiment d'être dans un cocon, être bien là dans un lieu magnifique lorsque je marchais sur la scène vide de l'Opéra de Massy, du temps où j'y travaillais, le seul plaisir d'arpenter une grande scène nue sans décor qui porte malgré tout les traces, les odeurs, le souvenir de tous les personnages qui y ont été interprétés, tous les artistes qui s'y sont produits, et de tous les spectacles à venir aussi. C'est très émouvant, un théâtre est comme une page blanche sur laquelle on peut écrire tout ce que l'on veut, inventer les univers les plus fous, y déployer toute son imagination.

On voit aussi cet acteur répété avec le livre de la pièce glissé à l'intérieur de son kimono, il note soigneusement ses répliques et le nombre de mots de chacune d'elles, pour se souvenir de tel ou tel passage difficile. Même si les pièces de kabuki ont été écrites il y a des siècles et sont inlassablement interprétées, même si le répertoire est gravé dans le marbre, les acteurs répétent les gestes, cherchent la perfection dans le cadre éternel du texte de kabuki. L'acteur dit qu'il tend tous les jours à la perfection sans jamais être complètement satisfait, car finalement atteindre la perfection, son idéal, c'est la fin, il n'y a plus rien après. Chaque jour, il va au théâtre, passe par l'entrée des artistes, sur une planche en bois est inscrit son nom et il pointe un petit bâton rouge surmonté d'une boule, il introduit ce petit bâton dans un trou sur la planche en bois, en bas de son nom, il prie, salue le concierge et va travailler.
Après chaque représentation, tous les acteurs viennent devant sa loge en tatamis et s'assoient sur les genoux et  font une courbette et le remercient d'avoir joué avec eux, il leur répond également assis à genoux en baissant la tête le plus près du tatamis.
Ensuite, il rentre toujours directement chez lui. Il dit ne jamais se projetter dans l'avenir, mais pense juste à demain car demain, dans la minute, dans la seconde, tout peut s'arrêter, son corps peut le lacher et il se peut qu'il ne puisse plus jamais danser, ni monter sur scène. Tous les soirs, il rentre chez lui et se fait masser , son corps tout courbaturé d'avoir porté des kimonos de plusieurs kilos (et dire que les Japonaises portaient ces habits de brocat de plusieurs dizaines de kilos il y a des siècles!!).
Tous les jours, sa vie est toute consacrée à son art, il va du théâtre à sa maison et de sa maison au théâtre. A-t-il une vie? A-t-il des amis? S'amuse-t-il? Ne vit-il pas comme un moine, un ascète voué à une seule religion: son art? Ca donne un peu le vertige.

La conclusion que je retire de cette émission passionnante, c'est cette force de concentration des Japonais, cette rectitude qui devient rigide, conservatrice et mortifère mais qui peut être également le chemin le plus rigoureux vers la perfection. Il y a plusieurs façons d'atteindre son but, certains Japonais ont la patience de répéter inlassablement le même geste, la même routine.
C'est également une valeur assez répandue en Asie et dans l'art en général, comme dans l'Opéra de Pékin ou les danses indonésiennes, ce qui nous est donné à voir est le fruit d'un très très long entraînement, de l'effort, tout est réfléchi, tout est travaillé, précisément. Ce qui parait simple est la chose la plus difficile, ce qui impalpable demande le plus d'efforts.

Il existe un proverbe japonais :ishi no ue ni mo san nen 石の上も三年 si on s'assoit trois ans sur une pierre froide, à coup sûr, elle deviendra chaude! Conclusion: il faut faire des efforts et persévérer et ne pas perdre confiance.
Au Japon, certains passent plus que 3 ans à faire des efforts...ils le font toute leur vie!

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Commentaires
Y
S'identifier à un personnage jusqu'à endosser une autre identité a certainement ses limites... et je ne sais pas si l'acteur de Kabuki possède son art ou va au delà. Ça ressemble plus à une religion ou un mode de vie, qu'à un simple art et je ne suis pas certain que personnellement j'aimerai vraiment ça :-) Car la vie ne se limite pas à une passion, il y a tout le reste, les amis, la famille, le travail et les relations avec les autres, et s'adonner à un unique art, à un seul but, signifie sans doute aussi restreindre tout le reste. Et tu le dis si bien, une vie de reclus ou toute son énergie est voué à la perfection et qui n'est sans doute jamais atteinte, c'est une vie de moine artiste. Même Épicure, voulait profiter du moment, mais sans la rigidité de la passion. Quant à la volonté, l'être humain à cette faculté merveilleuse de s'adapter et persévérer... mais malgré tout, on a pas encore réussi à défier le temps qui passe toujours trop vite ;-)
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